Le 17 janvier 1975 était promulguée la loi Veil, permettant de dépénaliser l’avortement en France : depuis cinquante ans maintenant, la loi autorise à procéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Préparée et défendue par la ministre de la Santé Simone Veil, la loi a pu évoluer au cours des années pour devenir celle que nous connaissons aujourd’hui.

Le chemin de la dépénalisation de l’avortement jusqu’à l’adoption de la loi Veil
Le droit à l’avortement en France s’est construit en plusieurs étapes avant l’adoption de la loi. Pour en savoir plus, lire notre article : La liberté d’avorter, un droit français.
Pour ce qui est de la décision d’intégrer ce droit à la loi, il faut attendre décembre 1973 pour que le ministre de la Santé Michel Poniatowski (sous la présidence de Georges Pompidou) porte un premier projet de loi autorisant l’IVG dans les conditions suivantes : en cas de risque pour la santé physique, mentale ou psychique de la femme, d’un risque élevé de malformation congénitale, ou d’une grossesse consécutive à un acte de violence. Mais le texte de loi est rejeté par l’Assemblée nationale (225 contre, 212 pour).
Valery Giscard d’Estaing, élu président de la République en 1974 après le décès de son prédécesseur, relance le projet de loi à la suite de sa promesse, faite lors de sa campagne électorale. Il demande dans un premier temps à son ministre de la Justice et garde des Sceaux, Jean Lecanuet, de porter devant le Parlement le projet de loi visant à légaliser l’IVG. Mais les convictions religieuses du ministre l’amènent à refuser. Le Président charge finalement Simone Veil, alors ministre de la Santé, de ce travail.
Le 26 novembre 1974, elle prononce devant l’Assemblée nationale son discours visant à présenter et défendre le projet de loi pour dépénaliser l’avortement en France. Quelques jours plus tard, le 29 novembre, le texte de loi est adopté en première lecture par les députés (284 pour, 189 contre), puis par le Sénat deux semaines plus tard (185 pour, 88 contre). Le texte est ensuite présenté en seconde lecture, pour être définitivement adopté (277 pour, 192 contre).
Publiée dans le Journal officiel de la République française le 18 janvier 1975 et associée au Code de la santé publique, la loi entre d’abord en vigueur à titre expérimental pour une durée de cinq ans, avant d’être reconduite sans limite de temps en 1979. On voit donc apparaître pour la première fois les mots suivants dans la loi française :
« La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la dixième semaine de grossesse. »
La loi Veil au fil des années
Depuis 1975, plusieurs lois et décrets se sont succédé pour permettre d’élargir et d’améliorer le cadre de prise en charge de l’avortement, et de sécuriser ce droit. Le texte original de 1975 a donc été modifié à plusieurs reprises.
1993 : Création du délit d’entrave à l’IVG
Dès les années 1980, la France voit apparaître des « commandos anti-IVG », des actions militantes qui visent à entraver le fonctionnement des établissements médicaux pratiquant l’IVG. On compte près d’une quarantaine d’actions entre 1990 et 1993 : des occupations de locaux, ou encore des blocages pour empêcher l’entrée.
La décennie suivante voit promulguer la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, apportant des éléments pour contrer ces actions anti-IVG. Elle ajoute une nouvelle section au Code de la santé publique appelée « Entrave à l’interruption volontaire de grossesse », grâce au travail de la secrétaire d’Etat aux Droits des femmes, Véronique Neiertz. Cet ajout permet de créer un délit d’entrave à l’IVG, décrit ainsi :
« Sera puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 2 000 F à 30 000 F ou de l’une de ces deux peines seulement le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables […] :
- Soit en perturbant l’accès aux établissements […] ou la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ;
- Soit en exerçant des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements ou des femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse. »
Ce délit est élargi en 2004, prenant en compte la perturbation de l’accès aux femmes à l’information sur l’IVG, puis en 2017, avec les nouvelles pratiques apparaissant sur internet.*
*Aujourd’hui, la loi punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur IVG par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne.
2001 : Le délai légal d’IVG est allongé et les conditions d’accès aux mineures sont assouplies
En 2001, on compte près de 5 000 femmes en France qui se retrouvent chaque année hors délai pour faire la demande d’une IVG auprès des médecins. Un grand nombres d’entre elles sont d’ailleurs contraintes d’aller à l’étranger. Dans un même temps, il est constaté que 30 % des IVG concernent les femmes de moins de 25 ans (on compte, en novembre 2000, 6 000 IVG chez les moins de 18 ans), et la proportion des mineures enceintes recourant à l’IVG a augmenté fortement depuis les années 1980. Les échecs liés à la contraception sont trop nombreux et le taux d’IVG élevé : le gouvernement décide donc d’adapter la loi Veil ainsi que la loi Neuwirth*.
*La loi Neuwirth a été promulguée en 1967 pour autoriser la contraception orale et abroger la loi de 1920 qui l’interdisait.
Le 4 juillet 2001 est donc votée la loi n° 2001-588 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Elle réforme la loi Veil sur plusieurs points, notamment le délai légal de l’IVG, ainsi que la liberté donnée aux femmes mineures pour y accéder.
Concernant le délai légal, il est allongé à douze semaines, contre dix dans le texte original. Les mots « avant la fin de la dixième semaine de grossesse » sont donc remplacés par les mots : « avant la fin de la douzième semaine de grossesse ».
Pour ce qui est des conditions d’accès à l’IVG aux mineures, dans la première version de la loi, le cas de la femme mineure était énoncé comme qui suit : « Si la femme est mineure célibataire, le consentement de l’une des personnes qui exercent l’autorité parentale ou, le cas échéant, du représentant légal est requis. » Les mineures n’avaient donc pas la pleine liberté quant à la décision de procéder à une IVG. Or, avec cette réforme, le texte est modifié pour présenter de nouvelles conditions. L’autorisation parentale reste la règle, cependant :
- Si la mineure non émancipée désire garder le secret, le médecin « doit s’efforcer, dans l’intérêt de celle-ci, d’obtenir son consentement pour que le ou les titulaires de l’autorité parentale ou, le cas échéant, le représentant légal soient consultés ou doit vérifier que cette démarche a été faite »
- Si elle ne veut pas effectuer cette démarche ou si le consentement n’a pas été obtenu, alors le médecin peut pratiquer l’IVG à sa demande, mais « la mineure se fait accompagner dans sa démarche par la personne majeure de son choix »
2012 : L’IVG est prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie
Les frais de soins et d’hospitalisation liés à une IVG sont pris en charge par l’Assurance maladie à partir de 1983, après la publication de la Loi n°82-1172 du 31 décembre 1982. En 2012, l’Assurance maladie prenait en charge entre 70 % et 80 % des frais pour la réalisation d’une IVG, et seules les mineures bénéficiaient d’une prise en charge à 100 %.
Mais le droit des femmes à l’IVG peut être limité par des difficultés financières d’accès aux soins. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) recommande, dans un rapport publié en 2010, que la prise en charge des IVG soit organisée comme un élément à part entière de l’offre de soins, et affirme que « Les femmes qui désirent interrompre une grossesse non désirée ont le droit d’être prises en charge : la mise en œuvre du droit à l’IVG correspond à une obligation de service public. »
En octobre de la même année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 est donc présenté en Conseil des ministres. Le but de ce texte est de mettre en œuvre, dans le champ de la sécurité sociale, la stratégie de finances publiques du Gouvernement. Il y est mentionné le souhait de renforcer la garantie du droit à l’IVG en permettant sa prise en charge à 100 %. C’est ainsi que sont ajoutés les frais liés à une interruption volontaire de grossesse dans la liste des conditions limitant ou supprimant la participation d’une assurée, dans le Code de la sécurité sociale.
2014 : La notion de détresse pour le recours à l’IVG est supprimée
Simone Veil le disait lors de son discours : « l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issues », ainsi que « si le législateur est appelé à modifier les textes en vigueur, c’est pour mettre fin aux avortements clandestins qui sont le plus souvent le fait de celles qui, pour des raisons sociales, économiques ou psychologiques, se sentent dans une telle situation de détresse qu’elles sont décidées à mettre fin à leur grossesse dans n’importe quelles conditions. »
On pouvait donc lire dans le texte initial : « La femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse. » Il s’agissait là d’une condition pour demander à recourir à l’IVG. Dès 1980, le Conseil d’Etat considère déjà que la référence à la situation de détresse n’est pas une condition pour qu’une femme puisse pratiquer une IVG.
En 2014, la notion de détresse présente un caractère obsolète par rapport à la réalité en France selon le gouvernement, et pour « mettre le droit en conformité avec la pratique » (Najat Vallaud-Belkacem), ces mots sont alors remplacés par : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse ». Bien qu’il ne s’agisse que d’une modification sémantique, ce changement symbolique permet ainsi à la femme enceinte d’apprécier elle seule sa situation pour recourir à l’avortement.
2016 : Les sages-femmes peuvent pratiquer l’IVG médicamenteuse
« L’interruption volontaire d’une grossesse ne peut être pratiquée que par un médecin. » Jusqu’en 2016, d’après la loi, aucune autre personne qu’un médecin n’était donc autorisée à pratiquer l’IVG pour une femme enceinte.
Début 2015, Marisol Touraine (ministre des Affaires sociales et de la Santé) annonce sa volonté de « garantir à toutes les femmes qu’elles pourront trouver à côté de chez elles un moyen d’avorter si elles le souhaitent, et avoir le choix entre les méthodes utilisées. » En parallèle, les associations féministes, soutenues par le Conseil national des sages-femmes, avaient alerté sur la diminution des centres d’IVG en France.
Elle présente donc le projet de loi de modernisation de notre système de santé, qui sera par la suite votée par le gouvernement et mise en application en janvier 2016. Parmi les nombreuses réformes de ce texte, l’amélioration de l’accès à l’avortement est prise en compte, et les sages-femmes se voient autoriser la pratique de l‘IVG médicamenteuse.
La sage-femme est donc intégrée dans la loi Veil sur plusieurs points, notamment avec la phrase « L’interruption volontaire d’une grossesse ne peut être pratiquée que par un médecin ou, pour les seuls cas où elle est réalisée par voie médicamenteuse, par une sage-femme. »
2022 : Un accès plus large à l’IVG médicamenteuse hors établissements de santé, nouveau délai légal et nouvelles compétences pour les sages-femmes
En septembre 2020, les députées Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti rendent leur rapport sur l’IVG en France devant la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Le rapport présente le constat suivant : des conditions d’accès à l’IVG qui restent inégales sur l’ensemble du territoire national, avec une offre de soins variable selon les régions. Parmi les solutions proposées, il y a l’ouverture de la pratique de l’IVG chirurgicale aux sages-femmes, ainsi que l’allongement du délai l’accès à l’IVG. En parallèle, la députée Albane Gaillot dépose une proposition de loi pour renforcer le droit à l’avortement. Après plusieurs débats et relectures, des changements pour la loi sont votés en 2022.
C’est ainsi qu’en février 2022 est signé un décret relatif aux conditions de réalisation des interruptions volontaires de grossesse par voie médicamenteuse hors établissements de santé. Il apporte plusieurs modifications au texte de la loi Veil et au Code de la santé publique :
- La femme enceinte n’a plus l’obligation de prendre le premier médicament devant le professionnel (médecin comme sage-femme) : « Après la délivrance ou la prescription des médicaments nécessaires à la réalisation de l’interruption volontaire de grossesse, le médecin ou la sage-femme transmet à l’établissement une copie de la fiche de liaison contenant les éléments utiles du dossier médical de la patiente. » (d’après la Convention fixant les conditions dans lesquelles les médecins et les sages-femmes réalisent les IVG médicamenteuses hors établissement de santé). Ici, les mots : « l’administration des médicaments » ont été remplacés par « la délivrance ou la prescription » grâce au décret.
- L’IVG médicamenteuse peut être réalisée en téléconsultation, et son délai réglementaire passe de cinq à sept semaines de grossesse hors établissements de santé : le Code de la santé publique en est directement modifié.
Le mois suivant est votée la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement, apportant à nouveau des changements à la loi Veil :
- Le délai légal de l’IVG passe de douze à quatorze semaines de grossesse
- Les sages-femmes sont autorisées à pratiquer l’IVG instrumentale en établissements de santé. Cette autorisation intervient après près d’un an d’expérimentations, et les conditions requises pour la pratique des IVG sont précisées par décret en décembre 2023.
De plus, le délai légal minimum de réflexion entre l’entretien psycho-social et le recueil du consentement est supprimé pour les personnes mineures. En effet, jusqu’en 2022, après les consultations, la femme mineure devait renouveler sa demande d’IVG par une confirmation écrite auprès du médecin, qui ne pouvait l’accepter qu’après l’expiration d’un délai d’une semaine suivant la première demande de la femme (ancien article L162-5 du Code de la santé publique). Cette confirmation ne pouvait intervenir qu’après l’expiration d’un délai de deux jours suivant l’entretien psycho-social. C’est ce que l’on appelait le délai légal minimum de réflexion, déjà supprimé en 2016 pour les majeures.
De la loi Veil à la constitutionnalisation du droit à l’avortement
L’IVG est un droit reconnu comme fondamental, mais pourtant un droit fragile. Il persiste des personnes lançant des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, ou attaquant les permanences de structures accompagnant les femmes enceintes. La volonté d’introduire le libre recours à l’IVG dans la Constitution, pour garantir et sécuriser ce droit, apparaît donc dès 2018 dans le débat public.
En octobre 2022, la députée Mathilde Panot dépose la première proposition de loi visant à introduire dans la Constitution le droit à l’IVG ainsi que le droit à la contraception. Après plusieurs modifications, le texte adopté à l’Assemblée nationale est finalement rejeté par le Sénat. Un an plus tard, fin 2023, un projet de loi de révision constitutionnelle est déposé en Conseil des ministres.
Après avoir été adoptée par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2024, la proposition de révision a été approuvée par le Sénat le 28 février 2024, sous l’impulsion de la sénatrice Mélanie Vogel. La nouvelle loi constitutionnelle est finalement adoptée suite à un congrès en mars (780 pour, 72 contre), puis promulguée le 8 mars.
La Constitution est ainsi révisée, avec un ajout dans son Article 34 : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
Quelques ressources juridiques
- Droit à l’IVG : Article L2212-1 du Code la santé publique
- Délai légal de l’IVG : Article 1 de la loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement
- Remboursement de l’IVG : Article L322-3 du Code de la sécurité sociale
- Délit d’entrave à l’IVG : Article L2223-2 du Code de la santé publique
- Accès à l’IVG pour les mineures : Article 7 de la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception
- Autorisation de la pratique de l’IVG instrumentale pour les sages-femmes : Décret n° 2023-1194 du 16 décembre 2023 relatif à la pratique des interruptions volontaires de grossesse instrumentales par des sages-femmes en établissement de santé
- Texte intégral de la Constitution du 4 octobre 1958 en vigueur – Site du Conseil Constitutionnel
Sources
- Le droit à l’avortement – ivg.gouv
- Loi Veil du 17 janvier 1975 – Legifrance
- La bataille de Simone Veil pour le droit à l’avortement – Libération
- IVG : droite ou gauche, qui avait voté la loi Veil en 1974 ? – Radio France
- Simone Veil (26 novembre 1974) – Site de l’Assemblée Nationale
- De la loi Veil à la constitutionnalisation, les huit dates clés de la conquête du droit à l’avortement – Public Sénat
- Le délai légal de l’IVG porté à 12 semaines – Le Monde
- Rapport fait au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de loi relatif à l’IVG et à la contraception – Site de l’Assemblée Nationale
- La prise en charge de l’interruption volontaire de grossesse – Rapport de l’IGAS
- Suppression de la notion de « détresse » : pour ou contre, quels arguments ? – Le Monde
- Audition de Marisol Touraine – Projet de loi de modernisation du système de santé français – Public Sénat
- L’Ordre des sages-femmes plébiscite la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer les IVG médicamenteuses – Communiqué de presse du Conseil national des Sages-femmes
- Droit à l’avortement : trois questions sur l’hypothèse d’un allongement du délai légal – Le Monde
- Rapport d’information, n° 3343 – Site de l’Assemblée Nationale
- IVG dans la Constitution : la loi paraît au « Journal officiel » – Le Monde
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