Cet article porte sur l’expansion de la langue chinoise à l’échelle internationale. Afin de mieux comprendre les enjeux et obstacles cités, nous vous recommandons de lire également cet article expliquant le fonctionnement particulier du chinois mandarin.
Une langue faiblement parlée malgré les apparences
Bien que le chinois ait aujourd’hui la réputation de langue la plus parlée dans le Monde, ce record doit être pris avec précautions. Le nombre d’1,3 milliard de locuteurs n’est pas représentatif car il prend en compte les 50 dialectes chinois tous aussi différents les uns que les autres.
Pour obtenir une valeur réellement représentative, il faut s’intéresser uniquement au chinois mandarin, la langue officielle, la plus parlée dans le pays.
Appelée 汉语 (Han’yu), elle est issue de l’ethnie majoritaire du pays, originaire du Nord-Est, et compte 850 millions de locuteurs. Un nombre ainsi bien inférieur aux 1,2 à 1,5 milliard de locuteurs anglais dans le Monde.
De plus, si on s’intéresse à la répartition géographique de ces 850 millions de locuteurs, sur les 8 milliards d’êtres humains, on remarque rapidement que la plupart des locuteurs mandarins se concentrent exclusivement en Asie de l’Est.
Dans les communautés chinoises installées à l’étranger le mandarin est loin d’être la langue majoritaire. Des dialectes tels que le cantonnais, le wen, ou le teochew sont massivement employés. A titre d’exemple, dans le 13ᵉ arrondissement de Paris, le teochew (潮州话) et le cantonais (广东话) sont les deux langues chinoises prédominantes. Dans le 20ᵉ ce sont essentiellement les communautés wen (温州) qui sont présentes.
Image : Fobos92, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
Comme on l’observe sur cette carte qui répertorie les locuteurs chinois dans le Monde, le mandarin, en bleu, n’occupe qu’un périmètre très restreint et peine à dépasser les frontières de la Chine. Le seul point bleu présent en dehors des frontières chinoises se trouve au niveau de Singapour. Le mandarin n’est d’ailleurs la langue officielle que de trois pays seulement : la Chine, Taiwan, et Singapour.
Ce manque de rayonnement international de la langue chinoise et plus particulièrement du mandarin rend difficile son affirmation en tant que langue mondiale, tant son usage est local.
Le mandarin peine à s’imposer parmi les Chinois
Il semble que la Chine ait toujours eu une difficulté à imposer une véritable langue nationale, et à l’officialiser ainsi.
Répartition linguistique à l’heure actuelle en Chine,
témoignant d’une fragilité certaine dans la promotion
du mandarin comme langue nationale.
© Jacques Leclerc 2020
Jusqu’en 1912, sous la dynastie Qing, la langue officielle de tout l’Empire de Chine était le mandchou, qui dans les faits, n’était que très peu employé. En effet, la famille impériale était issue de l’ethnie minoritaire mandchoue et avait ainsi imposé son dialecte à la population. Le mandarin pékinois e développe massivement tout au long du XIXème siècle, en majorité dans les provinces du nord de la Chine.
Ce développement tardif du mandarin a eu des conséquences sur l’évolution du pays. La République de Chine est proclamée le 1er janvier 1912, mettant fin à l’Empire. Son premier dirigeant, Sun Yat-Sen est issu de la province de Guangdong, au sud du pays. La notion de langue nationale émerge alors, en corrélation avec un débat qui vise à trancher entre le cantonais et le mandarin. Le mandarin (汉语 Han’yu) est finalement choisi car plus répandu et prend officiellement l’appellation de “langue nationale” (国语 Guo’yu) ou “langue générale” (普通话 Pu’tong’hua).
Toutefois, les dialectes locaux font preuve de résilience. Il n’y a qu’à voir le très fort accent de Mao Ze Dong qui ne parlait pas mandarin mais un dialecte du Hunnan. Ce n’est que plusieurs années après qu’il parviendra à maîtriser parfaitement la langue nationale.
Bien que de grands programmes d’enseignement du mandarin aient été mis en place depuis dans le pays, on estime que 400 millions de Chinois ne maîtrisent toujours pas la langue nationale, soit presque 30% de la population. Les professeurs eux-mêmes ne maîtrisent parfois pas la langue et enseignent à leurs étudiants en dialectes.
À Hong-Kong et Macao, les deux provinces à statut administratif spécial du pays, le cantonais aux 84 millions de locuteurs n’est pas près de céder sa place au mandarin. Tout le système administratif emploie le dialecte local de manière officielle. Parler mandarin y est d’ailleurs souvent vu d’un mauvais œil.
© Nicolas Aubert, à partir des données de China Statistical Information Network et SinOptic
La diffusion du mandarin à l’échelle nationale constitue déjà un enjeu et obstacle de taille pour la Chine, sans quoi le développement de la langue chinoise à l’échelle mondiale semble extrêmement compromis.
Une langue à l’apprentissage long et complexe
Selon une étude du FSI (Foreign Service Institute aux États-Unis), il faudrait compter près de 2200 heures d’apprentissage pour espérer atteindre un niveau “professionnel” équivalent des niveaux B1 ou B2 en Europe.
La mémorisation des sinogrammes chinois à l’écrit et des règles de tons pour la prononciation orale démontre la difficulté de l’apprentissage d’une telle langue. Là encore, cela rend son expansion et son ascension internationale d’autant plus complexe et improbable.
Carte des Instituts Confucius dans le Monde.
© Institut Confucius France
Toutefois, le gouvernement chinois ne perd pas espoir et mise énormément sur le développement de réseaux d’apprentissage de la langue chinoise à travers le monde. L’ouverture des instituts Confucius, centres d’apprentissage gérés par l’état chinois, reflète cette volonté. Ils sont un outil au service de son soft power, supposé promouvoir l’apprentissage du mandarin à travers les cinq continents.
Mais depuis ces dernières années, les Instituts sont au cœur d’une controverse grandissante en Occident. En effet, ils sont soupçonnés d’être le relais de la propagande chinoise et d’espionnage, voire d’ingérence dans les pays où ils sont implantés. Certaines associations et ONG réclament ainsi leur fermeture partout en Europe, à l’image de la Suède, premier pays à avoir fermé l’intégralité de ces centres d’apprentissage.
Toutefois, des accords passés avec l’Éducation Nationale en France ont permis l’ouverture de sections internationales chinoises au sein des collèges et lycées. Leur nombre reste malgré tout très faible : treize établissements seulement en proposent.
Taïwan possède parallèlement son propre réseau de diffusion de la langue chinoise, le “TCML” (Taiwan Center For Mandarin Learning) présent lui aussi dans de nombreux pays dont la France (où le premier centre a tout juste été inauguré il y a plus d’un an à Noisy-le-Grand en région parisienne). S’il semble s’imposer comme une alternative aux Instituts Confucius, il demeure beaucoup moins connu, en raison de la situation géopolitique complexe et controversée de l’île.
Malgré de tels investissements dans la diffusion et l’incitation à l’apprentissage de la langue dès le plus jeune âge, il reste difficile de déterminer objectivement si ces structures participeront réellement à une diffusion mondiale du mandarin.
Un rôle extrêmement flou dans le commerce et les sciences
Si le chinois se veut être la langue du commerce, en réalité, sa position dans ce domaine est très floue et loin d’être centrale. En effet, la communauté internationale s’accorde à reconnaître l’anglais comme la langue “officielle” dans le monde des affaires. Les entreprises chinoises elles-mêmes commercent en anglais au détriment du mandarin. Par exemple, les plus grands acteurs commerciaux du pays tels qu’Alibaba affichent systématiquement leurs pages internet en anglais, dès lors que la connexion provient d’un pays autre que la Chine. Les contrats signés entre les clients et leurs prestataires chinois sont aussi établis, dans la très grande majorité des cas, en anglais.
Dans ce contexte, savoir parler chinois dans une entreprise en dehors de la Chine peut s’avérer valorisant, mais maîtriser l’anglais au sein d’une multinationale chinoise est indispensable.
La pertinence du mandarin est aussi remise en question, les grandes multinationales s’étant souvent basées à Hong-Kong où les langues majoritairement parlées restent l’anglais et surtout le cantonais, au détriment presque total du chinois mandarin.
Impression d’écran de la page d’accueil du géant chinois du commerce et du B2B, Alibaba, affichée par défaut en anglais.
Du côté des sciences, le débat se clôt rapidement. Le chinois n’est que très rarement utilisé, si bien qu’il n’apparaît pas parmi les langues scientifiques.
De nombreux termes scientifiques employés aujourd’hui sont déclinés du latin, c’est ce que l’on appelle généralement le “latin scientifique” ou contemporain. Il s’agit là de la principale raison pour laquelle de nombreux termes scientifiques n’ont tout simplement aucune traduction ou équivalence en chinois mandarin.
Ainsi, les rapports scientifiques dans le monde sont essentiellement rédigés en anglais, ou parfois en français, mais presque jamais en chinois.
De la même manière, le dépôt de brevets internationaux auprès de l’administration chinoise (CNIPA) se fait le plus souvent en langue anglaise, si bien que le site de l’administration compétente n’est accessible qu’en anglais dès lors qu’on le consulte hors de la Chine.
Pourcentages d’articles scientifiques publiés dans différentes langues depuis 1880.
Image : The dominance of English in the international scientific periodical literature and the future of language use in science, Rainer Enriche Hamel
Ainsi, si l’expansion de la Chine au niveau international en tant que puissance économique, commerciale et militaire est certaine, l’expansion de sa langue nationale, le chinois mandarin, est beaucoup moins sûre. Cela nécessite plusieurs décennies de développement sur la question tant les défis géographiques, démographiques mais aussi purement langagier sont complexes pour un pays aujourd’hui au cœur de nombreuses controverses en Occident.
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