Quand la Chine de Mao encourageait les naissances
Début des années 1950 : la République Populaire de Chine n’a qu’un an. Fondée par le parti communiste de Mao Ze Dong à l’issue d’une guerre civile destructrice, la Chine a besoin de se reconstruire, se développer et se moderniser.
En manque de main d’oeuvre, le régime met alors en place une politique démographique visant à encourager les femmes à donner naissance à un maximum d’enfants : c’est la politique d’encouragement à la natalité (鼓励生育 Gu’li sheng’yu en chinois). Au travers de slogans comme “Plus de population, plus de force”, Mao Ze Dong invoque la solidarité nationale et l’idéal communiste, promettant un avenir utopique à un peuple tout juste sorti d’une guerre de plus de 20 ans.
Pour faire fonctionner ce système, le régime communiste s’exerce à ce qu’il sait faire de mieux : accorder des statuts sociaux. Ainsi, les femmes se voient récompensées devant la société pour le nombre d’enfants auxquels elles donnent vie. À partir de cinq enfants, les femmes deviennent des “mères honorables” (光荣 guang’rong), puis à dix enfants, ces dernières accèdent au statut de “mère héroïque” (英雄 ying’xiong).
Les années 60 et la première politique de planification
Si la politique d’encouragement à la natalité porte dans un premier temps ses fruits et profite au gouvernement chinois, la situation devient très rapidement incontrôlable. L’État chinois tente alors d’intervenir une première fois, en régulant les naissances, c’est ainsi qu’il donne vie à la politique de planification de la natalité (计划生育 ji’hua sheng’yu), ou politique dite du “planning familial”.
En effet, si les naissances venaient à se multiplier au même rythme, la Chine rencontrerait alors de nombreuses problématiques économiques et environnementales, ne parvenant plus à nourrir les nouveaux enfants dont le chiffre ne fait qu’augmenter. Pour reprendre la main, l’État chinois promeut le mariage tardif, ainsi que les grossesses tardives (晚婚晚育 wan’hun wan’yu). L’objectif : espacer les naissances pour éviter un pic trop important et approcher le plus possible les femmes de la ménopause, lors de leur première grossesse, les empêchant ainsi de donner naissance à une fratrie trop importante.
Les débuts de la politique de l’enfant unique
Toutefois, cette première tentative de régulation par la communication ne suffit pas à freiner l’augmentation des naissances. En pleine Révolution Culturelle, le gouvernement chinois s’oriente alors vers une autre méthode : la contrainte.
C’est en 1969 que la très fameuse politique de l’enfant unique voit le jour, à Rudong, au Nord de Shanghai. Là-bas, elle est expérimentée pendant 10 ans à l’échelle locale. De nombreuses femmes sont stérilisées et les enfants ayant le malheur de naître en deuxième position se retrouvent condamnés à vivre dans la clandestinité. Inexistants aux yeux de l’état, ils n’ont pas de papiers et grandissent cachés par leurs parents.
Années 80 : lancement national de l’enfant unique
Deng Xiao Ping, successeur de Mao Ze Dong, est connu pour être l’homme de l’ouverture économique chinoise, mais il est aussi celui qui a instauré la politique de l’enfant unique (独生子女政策 du’sheng zi’nu zheng’ce) dans toute la Chine, en 1979.
Cette dernière consiste à limiter les naissances de chaque couple, à un seul enfant, à l’exception des ethnies minoritaires, autres que l’ethnie Han. La politique s’applique très rapidement sur l’ensemble du territoire, et ses effets sont rapidement visibles. À la campagne, alors que les familles préfèrent les garçons, plus aptes à travailler dans les champs, les avortements de filles se multiplient, causant ainsi un premier déséquilibre démographique important.
Car cette politique fonctionne, mais de manière trop puissante. En 2000, il était estimé que 7% de la population chinoise avait plus de 65 ans, une projection portée à 24% en 2050. Il s’agit déjà d’une réalité à Rudong, lieu où la politique de l’enfant unique avait été expérimentée, où 20% de la population avait plus de 65 ans en 2015.
Les années 2000 et le début de la fin
À partir de 2002, le gouvernement chinois assouplit alors les restrictions, et permet aux familles de donner naissance à un deuxième enfant, contre le versement d’une somme de 5000 RMB, soit 510 euros environ.
Mais le début des années 2000 est aussi marqué par les premières conséquences graves de la politique de l’enfant unique, dont le déficit de femmes, avec un record en 2005, où la proportion à la naissance est estimée à 117,8 garçons pour 100 filles. Là où à cette même période, la France ne comptait qu’un déséquilibre de 104,8 garçons pour 100 filles (Statista).
2015, fin officielle de la politique de l’enfant unique
En 2015, face aux nombreuses pressions démographiques et économiques, l’état chinois annonce officiellement la fin de la politique de l’enfant unique, sur l’ensemble du territoire chinois, et autorise la naissance de deux enfants par couple (二胎政策 er’tai zheng’ce, qui se traduit par “Politique des deux naissances”).
En 35 ans de politique de natalité extrêmement stricte, la Chine fait alors face à deux importants problèmes. D’une part, la démographie. Tandis que le taux de natalité était largement supérieur au taux de mortalité avant 1980 (en excluant l’échec communiste du Grand bond en avant, ayant mené à de nombreux décès par famine), la politique de l’enfant unique a largement diminué ce taux de natalité, en le tirant vers le taux de mortalité, après 1990 notamment.
D’autre part, l’économie. En restreignant ainsi le nombre de naissances à un seul enfant, l’État chinois a négligé les conséquences économiques pesant sur les futures générations. Un enfant seul se retrouve alors à nourrir deux, voire trois générations supérieures, aux populations importantes. Le problème est alors le même que celui rencontré au Printemps 2023 en France : il y a (beaucoup) moins d’actifs pour un nombre toujours plus important de retraités, un véritable fardeau à supporter pour l’état, mais aussi pour les générations d’actifs.
2021, l’espoir d’un “baby boom chinois”, ou les regrets d’une politique anti-natalité aux effets dévastateurs
Finalement, en 2021, la Chine rehausse à nouveau son plafond et autorise dès lors les couples à donner naissance à trois enfants (三胎政策, san’tai zheng’ce : Politique des trois naissances), qui est aussi couramment appelée, “l’espoir du baby boom chinois”.
Mais au plus grand dam des autorités chinoises, l’espoir ne devient pas réalité. Alors que ces dernières comptent sur cette mesure pour relancer la population chinoise, elle se retrouve rapidement boudée par les Chinois, qui ne souhaitent plus donner naissance à de nouveaux enfants. En cause : le coût économique trop important que représente l’éducation d’un enfant, l’atteinte à leur liberté et à leurs carrières, pour les femmes notamment, et l’absence de soutien et d’encouragement de la part du gouvernement chinois.
Dans un sondage de l’agence de presse nationale chinoise Xinhua, posté sur le réseau social Weibo, 28 000 Chinois indiquent ne pas réfléchir à l’idée d’avoir un troisième enfant, contre seulement 1443 se déclarant comme prêts à donner naissance à un troisième enfant. 213 personnes quant à elles affirment que la conception de ce nouvel enfant serait à l’ordre du jour, et 828 autres estiment quant à elles qu’une réflexion poussée et sérieuse sur ce sujet est nécessaire, et se déclarent en phase d’hésitation.
Si l’État chinois souhaite à tout prix un baby boom, cette volonté traduit un certain lot de regrets vis-à-vis d’une politique dévastatrice. En 2022, la Chine assume le premier déficit de naissances depuis le début des années 1960, avec un chiffre de 10,14 Millions de décès, pour seulement 9,56 Millions de naissances, soit près d’un million de nouveaux individus manquants.
Dans les familles chinoises, cette politique a laissé de nombreuses traces visibles. Entre avortements et stérilisations forcées, les femmes portent sur leur corps le résultat d’une longue politique autoritaire, qui les a marquées à vie. Ceux qui sont tout de même nés à la triste place de second dans la famille, ont grandi dans l’isolement, privés de tout droit, d’existence, d’éducation, de transports, de soins médicaux et de papiers. Leur nombre est estimé à plus de 13 Millions, 13 Millions de vies inexistantes, d’enfants “noirs”, dont la reconnaissance annoncée par l’État chinois depuis 2015 reste sans nouvelles. Enfin, la politique de l’enfant unique est aussi le synonyme d’un déséquilibre important dans la famille, d’enfants rois (小皇帝 xiao huang’di : Petit Empereur), gâtés dans leur plus jeune âge, à esclaves de leurs parents et grands-parents à l’âge adulte, les enfants nés durant cette période ont, eux aussi, traversé une existence complexe.
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