Le 13 janvier 2024, le peuple taïwanais a élu Lai Ching-Te (DPP), président de l’archipel, aux termes d’une élection au centre des regards du monde entier. Dès l’annonce des résultats, de nombreux pays ont rapidement réagi, dont son imposant voisin, la République Populaire de Chine (RPC). Mais quels étaient les enjeux de cette élection, et quel avenir est réservé à cet archipel de 24 millions d’habitants ?
Sommaire
Contexte historique et politique de Taïwan
Afin de comprendre les enjeux liés à cette récente élection, il est tout d’abord nécessaire de comprendre la situation historique et politique autour de ce territoire controversé.
L’histoire moderne de Taïwan commence avec la guerre sino-japonaise. L’île de Taïwan, qui appartient alors à l’Empire de Chine (dynastie mandchoue Qing), à la suite d’une période de colonisation par la Hollande, est cédée en 1895 au Japon avec les îles Penghu. À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, en raison de leur défaite, les Japonais se retrouvent contraints de céder l’île de Taïwan et les îles Penghu à la République de Chine.
Car parallèlement, sur le territoire continental, l’Empire de Chine, dirigé par la dynastie mandchoue Qing et son dernier empereur Puyi, tombe en 1911. La Chine devient alors une République, instaurée par Sun Yat-Sen et son parti nationaliste, le Kuomintang (KMT). Toutefois, une guerre civile éclate rapidement dans le pays entre les nationalistes et le Parti Communiste Chinois (PCC). Ce dernier, armé par l’URSS, prend facilement l’avantage sur les nationalistes, désormais dirigés par Tchang Kai-Chek, qui replient alors leurs troupes sur l’île de Taïwan. Ces derniers emportent ainsi avec eux les vestiges de la République de Chine, tandis qu’est proclamée à Pékin, le 1er Octobre 1949, la République Populaire de Chine, dirigée par les communistes de Mao Zedong.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la République de Chine (ROC), jusqu’à aujourd’hui, ne se compose pas uniquement de l’île de Taïwan, mais d’un total de 168 îles, dont les îles Penghu et Matsu. Mais les plus étonnantes restent les îles Kinmen, situées à seulement 10 km de la Chine communiste, formant l’autre partie de la province Fujian, que les troupes de Mao n’ont jamais réussi à récupérer malgré leurs tentatives répétées de débarquements et de bombardements.
D’un point de vue politique, l’archipel n’est devenu démocratique que depuis 1987 et la fin de la loi martiale. En effet, jusqu’à cette date, l’archipel n’était pas considéré comme un territoire à administrer, mais comme une base militaire visant à préparer le retour du KMT, se considérant comme un gouvernement légitime en exil, sur la Chine continentale. Ce n’est qu’après le vote de la résolution 2758 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, qui choisit le gouvernement communiste comme le seul représentant légitime de la Chine, que les nationalistes abandonnent peu à peu leur revendication sur le continent, et se concentrent sur l’administration de l’archipel.
Comprendre l’élection et ses candidats
L’élection de 2024 a opposé le parti historique de l’archipel, le Kuomintang (KMT), classé à droite, à deux autres partis. D’une part, le parti sortant, Démocrate Progressiste (DPP) classé à gauche, et le Parti Populaire Taïwanais (TPP), assez proche du KMT.
La ligne défendue par le Kuomintang est à peu près la même depuis sa création, une unification de la Chine. Si aujourd’hui, le KMT ne s’exprime plus directement pour une réunification avec le continent, ce dernier reste tout de même favorable à des rapprochements avec la République Populaire de Chine. En effet, le parti nationaliste n’a jamais oublié ses revendications sur l’ensemble du territoire chinois, et considère Taïwan comme faisant partie de la Chine, d’où le nom de République de Chine. Toutefois, si le KMT considère effectivement Taïwan comme un territoire chinois, il ne considère pas l’archipel comme territoire communiste, et reste opposé au Parti Communiste Chinois (PCC), qu’il continue à considérer comme une menace. Le Kuomintang est donc favorable à la Chine continentale, mais pas à son gouvernement.
Avec le KMT, le Parti Populaire Taïwanais (TTP) forme la coalition “pan-bleue”, avec des idées similaires sur la question du rapport à la Chine continentale. Tous deux annoncent garantir la sécurité de l’archipel, par un respect du statu quo, et un rapprochement avec le continent, et dénoncent l’attitude du DPP envers la République Populaire de Chine, la jugeant inutilement provocatrice et dangereuse. “Tsai Ying-Wen (la présidente sortante) et le DPP sont asservis aux ordres des États-Unis et mettent en danger Taïwan, sa population, et nos enfants, en leur mettant dans la tête qu’ils doivent se préparer à une guerre, et à y mourir […] Alors qu’avec le KMT les choses sont plus simples, nous sommes la République de Chine, eux sont la République Populaire de Chine, chacun fait sa vie de son côté sans interférer dans les affaires de l’autre. Si nous ne demandons pas l’indépendance, ils ne nous envahiront pas.”, affirmait avec colère un conducteur de Taxi de la capitale, Taipei, soutenant le Kuomintang et la coalition “pan-bleue”.
À l’inverse, le Parti Démocrate Progressiste (DPP) se montre extrêmement critique envers la République Populaire de Chine, et la Chine continentale. Ce dernier affiche publiquement une volonté d’indépendance vis-à-vis du continent. Contrairement au KMT, le DPP ne considère en aucun cas Taïwan comme appartenant à la Chine, et milite depuis plusieurs années pour l’usage de “Taïwan” comme nom officiel au lieu de “République de Chine”. Là où historiquement, le KMT considérerait l’indépendance de Taïwan comme une défaite, signifiant une capitulation (abandon de ses revendications sur l’ensemble du territoire) et la reconnaissance de la victoire du PCC en 1949 sur la Chine, le DPP considère que ces revendications du KMT n’appartiennent plus qu’au passé, et n’ont plus d’importance réelle à l’heure actuelle, où l’indépendance serait la seule solution viable.
Ainsi, sous la présidence de Tsai Ying-Wen, Taïwan a multiplié les actions en faveur de son “soft-power”, avec le développement de l’OCAC (Bureau des Affaires liées aux Communautés Outre-Mer), visant à afficher au maximum la présence de Taïwan, comme un état naturellement indépendant sur la scène internationale. C’est ainsi que plusieurs centres TCML ont été ouverts (avec une première ouverture en France dès 2021, à Noisy-le-Grand en région parisienne), ainsi que des opérations de distribution de plus en plus massives d’objets à l’effigie de Taïwan, dont des masques portant l’inscription “Taïwan” durant le Covid-19, accompagnés de films promotionnels insistant sur le caractère démocratique de l’état.
Contrairement au KMT, qui considère la quête d’indépendance comme un risque sécuritaire, le DPP la considère comme vitale pour la sécurité de l’archipel. Pour lui, la Chine continentale constitue une menace en tout temps, et tout rapprochement ne ferait que faciliter les projets d’invasion, comme souligné par le candidat élu Lai Ching-Te “La paix sans la souveraineté, c’est juste comme Hong-Kong”, faisant référence à la “Région Autonome Spéciale” (RAS) dont la période de liberté (ou semi-indépendance), initialement fixée à 50 ans lors de la rétrocession par les anglais en 1997, a été brutalement avortée en 2020 par une loi de sécurité nationale, assimilée à une invasion chinoise du territoire, ouvrant la voie à de nombreuses répressions, censures et restrictions de libertés.
Taïwan s’est notamment doté très récemment de sous-marins nucléaires sous l’impulsion du DPP pour faire face à la menace chinoise, ravivant à nouveau les tensions dans le détroit.
Victoire de Lai Ching-Te : Quel avenir ?
Le 13 janvier 2024, Lai Ching-Te (ou William Lai en anglais), candidat du Parti Démocrate Progressiste (DPP) et Vice-Président sortant, a remporté avec 40,05 % des voix l’élection présidentielle, devançant le candidat du Kuomintang (KMT) Hou Yu-Ih, maire du comté de Taipei (Nouveau Taipei) ayant obtenu 33,49 % des voix, et le candidat du Parti Populaire Taïwanais (TPP), Ko Wen-Je ancien maire de Taipei, ayant obtenu quant-à-lui 26,46 % des voix.
Face à un tel résultat, la réaction de la République Populaire de Chine ne s’est pas fait attendre. Pékin qui avait appelé avant l’élection le peuple taïwanais à réaliser “le bon choix”, a réagi par la voix de son Porte-Parole des Affaires Étrangères, affirmant que la réunification de Taïwan avec la Chine était “inévitable”, et que le continent s’engagerait à “s’opposer fermement aux activités séparatistes visant à l’indépendance de Taïwan ainsi qu’à l’ingérence étrangère”.
Toutefois, l’indépendance pure de l’archipel n’est pas à prévoir dans l’immédiat. Le président des États-Unis, Joe Biden a assuré qu’il “ne soutenait pas l’indépendance”, une réaction glaciale qui n’était en réalité pas inattendue, les États-Unis, reconnaissant Pékin comme le seul gouvernement légitime de la Chine depuis de nombreuses années, et entretenant plusieurs liens commerciaux avec le continent. De plus, bien que le résultat du candidat démocrate soit élevé, ce dernier n’est néanmoins pas parvenu à s’assurer une majorité suffisante au parlement (Yuan législatif) lors des élections législatives qui se sont tenues en même temps, faisant perdre au DPP sa majorité absolue, une situation jamais vue depuis 2000.
Loin d’être une véritable révolution, l’arrivée au pouvoir de Lai Ching-Te devrait davantage s’inscrire dans une forme de continuité du mandat de sa prédécesseure, Tsai Ying-Wen.
Laisser un commentaire