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L’effet Matilda en sciences, illustré avec 4 exemples

Elles sont chimistes, astrophysiciennes, biologistes, ou encore chirurgiennes, et leurs travaux ont permis de grandes avancées scientifiques. Pourtant, elles ne sont pas toujours citées dans les livres d'histoire.

Elles sont chimistes, astrophysiciennes, biologistes, ou encore chirurgiennes, et leurs travaux ont permis de grandes avancées scientifiques. Pourtant, elles ne sont pas toujours citées dans les livres d'histoire.

Elles sont chimistes, astrophysiciennes, biologistes, ou encore chirurgiennes, et leurs travaux ont permis de grandes avancées scientifiques. Pourtant, elles ne sont pas toujours citées dans les livres d’histoire, on peut les voir sur des photos mais sans qu’elles soient nommées, ou alors des prix Nobel sont attribués pour leurs travaux, mais à d’autres… Ces scientifiques, qui ont contribué à de nombreuses avancées pour la recherche scientifique, ont vu leur rôle minimisé, laissant la place notamment à leurs collègues masculins, ou encore à leur conjoint.

Ce phénomène décrit est l’effet Matilda, nommé ainsi par Margaret W. Rossiter en 1993 en l’honneur de la suffragette Matilda Joslyn Gage (1826-1898). Dans son article The Matthew/Matilda effect in science, Margaret W. Rossiter caractérise ainsi cette notion comme étant le fait de minimiser les réalisations des femmes, entre autres dans la recherche scientifique. Cela se caractérise notamment par le déni et le manque de reconnaissance des contributions des femmes en sciences, qui sont généralement attribuées à leurs homologues masculins.

En somme, il s’agit d’invisibiliser, d’oublier que certaines découvertes scientifiques sont l’œuvre de femmes. Voici 4 exemples pour illustrer ce phénomène.

Lise Meitner (Pinterest)

Physicienne autrichienne, née de famille juive, Lise Meitner (1878-1968) a travaillé pendant longtemps sur la radioactivité et la physique nucléaire. Elle est aujourd’hui considérée comme la découvreuse de la fission nucléaire, un éclatement d’un noyau lourd instable en deux noyaux plus légers et quelques particules élémentaires. Et pourtant, elle est ignorée par le comité attribuant le prix Nobel.

En 1933, Hitler arrive au pouvoir, ce qui contraint les Juifs occupant un emploi dans les services publics à démissionner. Mais Lise Meitner, alors à la tête du département de physique de la société Kaiser-Wilhelm, parvient à conserver son poste, du fait de sa nationalité autrichienne.

En 1934, elle associe à ses recherches sur les réactions nucléaires artificielles les chimistes Otto Hahn et Fritz Strassmann dans le “projet uranium”. Ensemble, ils parviennent à fragmenter de l’uranium en deux noyaux plus légers : c’est ce qu’ils vont ensuite appeler le principe de la fission nucléaire, qu’ils découvrent tous les trois en 1938. Lise Meitner est d’ailleurs la première à en comprendre le principe.

Mais, la même année, le régime nazi annexe l’Autriche, et Lise Meitner, qui n’est plus protégée, prend la fuite en Suède, où elle poursuit ses recherches. Elle continue malgré tout de correspondre avec Otto Hahn et d’autres scientifiques allemands pour poursuivre les travaux. Aidés par la physicienne autrichienne, Otto Hahn et Fritz Strassmann finissent ainsi par démontrer la théorie des noyaux lourds. Quand ils présentent le résultat de leurs recherches à la revue Naturwissenschaften, en 1938, Lise Meitner n’est pas citée comme co-autrice de la publication, du fait de la situation politique.

En 1944, Otto Hahn et Fritz Strassmann sont récompensés du prix Nobel de chimie pour leurs travaux sur la fission des noyaux lourds. Lise Meitner ne reçoit pas de récompense, malgré l’estime qu’ont ses collègues scientifiques pour elle. Le comité attribuant le prix Nobel ne lui a d’ailleurs jamais remis de prix, malgré ses nombreuses nominations pour ses autres recherches.

Rosalind Franklin (L’Esprit Sorcier)

En 1952, alors qu’elle menait ses recherches au King’s College de Londres, la chimiste, biologiste moléculaire et cristallographe Rosalind Franklin (1920-1958), découvre la structure de l’ADN et identifie ses deux hélices (dites A et B) en collaboration avec so8n élève, Raymond Gosling. L’image obtenue grâce aux rayons X est appelée “cliché 51”. La scientifique souhaite poursuivre ses recherches afin de confirmer leurs résultats, et refuse donc, dans un premier temps, de les partager avec son collègue, Maurice Wilkins, avec qui elle est en mauvais termes, notamment parce qu’il ne la voit que comme une assistante.

Un an plus tard, après avoir décidé de quitter le laboratoire du King’s College, Rosalind Franklin se voit obligée de laisser ses travaux sur l’ADN au laboratoire, et autorise finalement son élève à montrer le cliché à Maurice Wilkins. Celui-ci transmet, à son insu, ses travaux à James Dewey Watson et Francis Crick.

Les trois hommes collaborent finalement pour établir un nouveau rapport et publier leurs articles dans la revue scientifique Nature en 1953. Malgré la publication en parallèle d’un article de Rosalind Franklin, c’est l’article de James Dewey Watson et Francis Crick qui emporte l’adhésion de la communauté scientifique. Ils publient un nouvel article un peu plus tard, citant le travail des chercheurs ayant contribué à la découverte, mais n’évoquent pas Rosalind Franklin.

Plus tard, les trois, James Dewey Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins, reçoivent finalement le prix Nobel de physiologie ou médecine, quatre ans après le décès de Rosalind Franklin, survenu des suites d’un cancer des ovaires. Maurice Wilkins la remercie lors d’un discours, mais ses deux collègues ne reconnaissent pas son rôle, et ne la citent donc pas . Sa contribution essentielle a d’ailleurs continué à être minimisée, notamment dans le récit autobiographique La Double Hélice de James Dewey Watson, écrit en 1968.

Il faut attendre 2003 pour que, lors d’une interview, James Dewey Watson reconnaisse tout le travail et le mérite de la scientifique.

Jocelyn Bell (The New Yorker)

En 1967, l’astrophysicienne britannique Jocelyn Bell (née en 1943), alors âgée de 24 ans, est étudiante et effectue sa thèse à l’université de Cambridge. Elle travaille avec son directeur de thèse, Antony Hewish, et quelques autres collaborateurs, à la fabrication d’un radiotélescope. En examinant les enregistrements de l’appareil, elle remarque un signal étrange, différent de ce qui était connu. Alors qu’elle cherchait au départ à détecter de la scintillation interstellaire, elle identifie finalement ce qui sera le premier pulsar découvert : une étoile à neutrons, avec une vitesse de rotation très élevée, que l’on peut détecter grâce à ses ondes radios.

L’article scientifique annonçant la découverte est publié dans la revue Nature en 1969, et est signé de cinq personnes, Anthony Hewish en premier auteur, Jocelyn Bell en second. 

En 1974, Jocelyn Bell apprend par son mari que, pour la première fois, un prix Nobel de physique est attribué à une découverte en astrophysique, la sienne… et décerné à Anthony Hewish et Martin Ryle. Jocelyn Bell n’y est aucunement associée, malgré le fait qu’elle figure dans l’article publié quelques années plus tôt. Cet évènement déclenche alors une très vive controverse chez plusieurs scientifiques, scandalisés par la remise de ce prix qui occulte le rôle essentiel de l’astrophysicienne.

Finalement, en 2018, Jocelyn Bell reçoit le prix de physique fondamentale (en anglais Breakthrough Prize in Fundamental Physics) pour ses travaux et sa découverte du premier pulsar : une remise de prix qui a un peu plus mis en lumière la controverse de l’époque.

Trota de Salerne (L’Histoire par les femmes)

Médecin gynécologue italienne du Moyen Âge, Trota de Salerne (1050-1097) est célèbre pour avoir soigné des femmes malades, et a écrit plusieurs ouvrages à ce sujet. Aujourd’hui, elle est considérée comme une pionnière de la gynécologie, mais son existence en tant que femme a longtemps été contestée.

Au cours de sa vie, elle a écrit de nombreux ouvrages en latin sur la santé des femmes. Son traité de gynécologie, Les maladies des femmes avant, pendant et après l’accouchement, donne de premieres bases de la médecine féminine et de la gynécologie. Elle y prône l’usage d’opiacés (dérivés de l’opium), affirmant que les femmes ne doivent pas accoucher dans la douleur. Cette position va à l’encontre de celle de l’Église, qui considère qu’enfanter dans la douleur est inéluctable.

Au XIIème siècle, un moine, en lisant ses textes, suppose qu’une personne aussi brillante ne pouvait être qu’un homme, recopie de façon erronée son nom sur l’un de ses traités, lui attribuant en latin une forme au masculin. Cette erreur amène à la confusion quant à son sexe durant des siècles. Plusieurs textes sont ainsi publiés, la mentionnant comme étant un homme, ou minimisant son statut. Son existence a d’ailleurs plusieurs droit à une biographie imaginaire.

Par exemple, Caspar Wolf, un éditeur, affirme en 1566 que ses textes ont été écrits par un homme, un esclave libéré d’une impératrice romaine. Plus tard, en 1612, le poète français François Béroald de Verville écrit un ouvrage dans lequel il mentionne que Trota de Salerne n’avait pas pu écrire ces ouvrages puisqu’elle était la servante d’un médecin et qu’elle avait une vision médicale qui allait à l’encontre de la bonne morale. Au début du XXe siècle, Karl Sudhoff, un historien allemand de la médecine, la décrit comme étant une sage-femme, se fondant sur l’hypothèse fausse que, comme les traités étaient d’une grande importance, ils devaient avoir été écrits par un médecin de sexe masculin.

C’est en 1940 dans une synthèse d’Henry Peter Bayon que Trota de Salerne est enfin mise en avant, puis plus tard grâce aux travaux que Margaret W. Rossiter mène pour expliquer l’effet Matilda. Enfin, à partir des années 1980, des historiens et historiennes comme John F. Benton et Monica H. Green étudient plus en profondeur le sujet pour révéler son existence en tant que femme médecin.

Pour en savoir plus sur ces femmes et l’effet Matilda :