Depuis le 4 septembre 2023, jour de la rentrée scolaire, une nouvelle polémique a gagné les bancs de l’école française. Peut-on ou non venir en cours vêtue de l’abaya ? Cela relance divers débats autour de la laïcité de l’école publique, des signes religieux tolérés ou non ou bien encore, du port d’un uniforme scolaire.
Sommaire
L’abaya, qu’est-ce que c’est ?
L’abaya, longue robe ample en tissu léger et fluide, est une tenue traditionnelle de certaines cultures du Moyen-Orient. Elle est portée par les femmes par-dessus leurs vêtements et assortie ou non du hijab, voile couvrant la tête, le cou et les épaules. Culturellement, l’abaya répond aux principes de pudeur et de modestie du code vestimentaire féminin.
Son pendant masculin est le quamis, tunique traditionnelle très longue et très large. Il est porté dans nombre de pays arabes et dans certains pays africains.
Dans ces pays, l’abaya et le quamis sont des tenues liées à la culture plus qu’à la religion, même si les deux peuvent se rejoindre. Les hommes portent généralement un quamis pour se rendre à la mosquée. Le hijab est quant à lui plus symboliquement lié à la religion musulmane, trouvant sa source dans diverses interprétations du Coran.
L’école française et la laïcité
C’est en 1882 que la loi Ferry remplace l’instruction morale et religieuse par l’instruction morale et civique dans les écoles françaises. Cette loi donne, de plus, un jour de congé aux élèves afin que leurs parents puissent leur donner l’éducation religieuse qu’ils souhaiteraient en dehors des établissements scolaires. La laïcisation de l’école de la République est un principe fondamental ancré notamment avec la loi sur la séparation entre l’Etat et l’Eglise de 1905.
Elle deviendra ensuite un principe constitutionnel en étant inscrite à l’article 1er de la Constitution de la IVème République en 1946.
Diverses polémiques sur les signes religieux
Les polémiques sur le port du voile islamique débutent en France à la fin des années 80. Et notamment par le renvoi de trois jeunes filles du collège de Creil en 1989 pour le motif du port d’un signe religieux incompatible avec le principe de laïcité de l’école de la République.
Rapidement, la polémique enfle au nom du respect des croyances de chacun et de l’exclusion ressentie sur fond de racisme et d’une volonté de mettre à l’écart les croyants islamiques.
Lionel Jospin, ministre de l’Éducation Nationale de l’époque, appellera au respect de la laïcité en évitant le port ostentatoire de signes religieux tout en affirmant que l’école ne doit pas être un lieu d’exclusion.
Finalement, après accord entre les parents et le collège, les jeunes filles reprennent les cours avec l’autorisation de porter leur voile jusqu’à leur entrée en cours et juste après leur sortie.
2004, loi sur les signes religieux dans les écoles
A la suite à cette première « affaire du foulard islamique», d’autres atteintes à la laïcité seront plus fréquentes dans les services publics. Le président de la République, Jacques Chirac, lance en 2003 une commission visant à réfléchir à l’application du principe de laïcité dans les écoles publiques.
Une loi est promulguée en 2004 stipulant l’interdiction de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse au sein des écoles publiques. Elle autorise néanmoins le port de signes discrets, tels que de petites croix. Les écoles privées ont un droit de discrétion, c’est à dire qu’il leur revient d’inscrire ou non la loi dans le règlement de l’établissement.
2013, mise en place de la charte de la laïcité
Afin de renforcer l’application de cette loi, une première charte de la laïcité est déployée dans les écoles publiques en 2013. Cette charte vise à aider les professeurs et directeurs d’établissement au quotidien face à des remises en question du principe de laïcité. Elle doit être affichée dans les établissements. Une marge d’interprétation est néanmoins laissée aux personnels, ce qui ne facilite pas leur tâche.
Malgré tout, différents cas ont pu se présenter comme le fait d’accepter ou non que des mères voilées puissent accompagner des sorties scolaires et les positions différentes des représentants de l’Education Nationale et de la Justice fragilisent le cadre laïc de l’école publique et ne rend pas l’application aisée pour le personnel.
2023, polémique sur le port de l’abaya
Quelques jours avant la rentrée scolaire 2023, le ministre de l’Éducation Nationale, Gabriel Attal, a déclaré que l’abaya serait désormais interdite au sein des écoles dans un courrier adressé aux chefs d’établissements, directeurs et inspecteurs d’académies. Lors d’une conférence de presse, il a précisé que les personnels de l’Éducation Nationale étaient en demande d’un cadre plus clair et moins soumis à l’interprétation, les faits portant atteinte à la laïcité s’étant multipliés ces dernières années et ce, notamment depuis l’assassinat fin 2020 de Samuel Paty, professeur dans les Yvelines.
Saisi par l’association Action Droits des Musulmans (ADM) le 1er septembre au nom de dérives discriminatoires et d’un certain racisme antimusulman, le Conseil d’État a cependant validé cette interdiction le jeudi 7 septembre.
Depuis la rentrée, l’abaya a donc rejoint la kippa ou les croix religieuses de grand format dans les signes et tenues interdits à l’école.
Néanmoins, le jour de la rentrée, ce sont près de 300 élèves, sur les 12 millions d’élèves français, qui se sont présentées vêtues de l’abaya dont une soixantaine refusant de l’enlever et se voyant refuser l’accès aux établissements.
Un parent d’élève a également été mis en garde à vue suite à des menaces envers un proviseur. Sa fille avait été refusée le jour de la rentrée vêtue d’une abaya puis acceptée une fois revenue avec une tenue différente. Le lendemain, elle s’était à nouveau présentée en abaya à l’entrée du lycée et c’est suite à ce second renvoi que son père aurait proféré des menaces envers le proviseur.
L’uniforme, solution pour l’application du principe de laïcité ?
Historiquement, l’uniforme n’a jamais été obligatoire. Seule une blouse était requise avant 1968 dans les établissements scolaires pour protéger les élèves des taches d’encre.
Cependant dans certaines écoles privées, établissements militaires ou encore hôteliers par exemple, une tenue particulière est généralement demandée et précisée dans le règlement intérieur.
Le débat sur le port d’un uniforme dans tous les établissements n’est pas nouveau et a tout à la fois, ses défenseurs et ses détracteurs.
Sur la liste des avantages prétendus au port de l’uniforme, on trouve un sentiment d’appartenance et une réduction des discriminations, autant que du temps gagné le matin. Les réfractaires, quant à eux, prétextent que le port d’un uniforme est d’un autre temps, ne permettrait pas d’affirmer son individualité qui se révèle particulièrement à l’adolescence et ne ferait que masquer les inégalités.
Une expérimentation a été réalisée en 2018-2019 sur la commune de Provins (Seine-et- Marne) sur la base du volontariat. Les parents d’élèves y avaient répondu favorablement à plus de 60% mais le bilan a été mitigé, les élèves ayant progressivement cessé de porter l’uniforme et les professeurs n’ayant pas noté de changements majeurs dans les comportements au sein des différents établissements.
En cette rentrée 2023, le ministre de l’Éducation Nationale, Gabriel Attal, s’est déclaré favorable à une nouvelle expérimentation sur le port d’une tenue unique. Des projets en ce sens pourraient donc émerger dans les mois à venir.
Pour aller plus loin
L’histoire de la laïcité en France – Lumni | Enseignement
La laïcité à l’école | Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse
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